Voilà. Enfin. 87 ans après sa mort, elle est traîtée avec les honneurs, comme une grande artiste.
Longtemps, elle fut surtout la mère de Maurice Utrillo, une curiosité montmartroise, que seuls quelques avertis connaissaient.
Suzanne Valadon. Femme puissante, avant-gardiste, férocement libre, elle est une autodidacte de la peinture qui s'élève de sa condition modeste d'artiste de cirque, puis modèle pour les grands peintres de la belle époque, pour poser son empreinte très personnelle et très moderne dans l'histoire de l'art du début du XXe.
Observant avec avidité le geste des maîtres pour qui elle pose : Renoir, Toulouse Lautrec, Puvis de Chavanne, elle développe sa propre touche, son univers, sa palette, et invente un style qui lui est propre, encouragée un temps par Degas qui repère ses talents et son originalité.
Ses couleurs intenses, ses volumes pleins et charnels, cernés de noirs donnent à ses tableaux beaucoup de sensualité et d'impact visuel.
Il y a dans son oeuvre une spontanéité et une vérité qui troublent (en jargon artistique on appelle ça un naturalisme), mais toujours à mon sens avec beaucoup de joie profonde, en tous cas, d'un appétit de vie, qui se sent dans cette sensualité insolente, généreuse, dense et pleine. Il y a une beauté des formes, une envie de saisir un peu des personnalités des femmes qu'elles peint et dont on sent la présence forte dans la toile.
Moins abstraite que certains fauves ou expressionnistes de sa génération, plus féminine (c'est en tout cas mon avis), plus charnelle, plus incarnée, moins grimaçante mais pourtant bien réaliste : j'aime énormément sa peinture et cette série d'expositions qui la célèbrent me remplit d'aise.
Car dans l'oeuvre de Suzanne, c'est bien un regard de femme qui observe ses pairs, les restitue dans leurs corps et leurs couleurs, avec sa lecture bien à elle. C'est un regard également sans concession dans cet autoportrait au collier, où elle se représente âgée, nue. Avec sincérité mais avec aussi, on dirait, beaucoup de calme, de tranquillité...et finalement de beauté.
Alors que Berthe Morisot a quitté la scène au tournant du siècle, Suzanne Valadon reste une des grandes héroïnes de Bonâme, une de ces femmes qui forcent mon admiration par leur ténacité, leur résilience, leur liberté de choix mais surtout leur talent et leur soif de création.
D'origine bien plus modeste que son aînée impressionniste, laquelle a eu également une influence profonde sur la peinture, elle trace sa route avec force et détermination et nous laisse une oeuvre puissante et généreuse.
De l'autoportrait à l'odalisque moderne, fumant et rhabillée, en passant par un Adam et Eve où elle se met en scène elle-même avec son mari André Utter, de 20 ans son cadet, elle joue avec impertinence des thèmes conventionnels de la peinture.
Chez moi, elle a inspiré la ligne Suzanne, des robes et des capes fluides en soie. La sensualité des matières pour épouser le corps avec confort et souplesse. Une palette fauve faite d'ocres, de verts profonds et de rouge brique. L'importance du noir pour souligner, border, accentuer.
Vous avez jusqu'au mois de mai pour la découvrir au Centre Pompidou mais vous pouvez également visiter toute l'année son atelier au Musée de Montmartre.
Allez-y. C'est émouvant et elle le vaut bien.