Je garde une impression étrange au sortir de l'exposition Sargent, éblouir Paris que le Musée d'Orsay propose jusqu'au mois de janvier 2026.

Peintre américain de la fin du XIXe, il est né à Florence et réside en France pendant toutes ses ces jeunes années de peintre prodige. Car prodige, il semble l'être, étonnant ses mentors, surprenant le microcosme de l'art par la maitrise technique, notamment celle du dessin, qui le propulse très jeune dans la cour des grands. 

Néanmoins, et malgré cette maitrise précoce - qui se manifeste clairement dans quelques tableaux puissants (El Jaleo, les enfants d'Edward Bolt)-, j'en suis sortie avec la sensation d'une hésitation entre plusieurs univers ou influences, une impression de non-dit, une lecture un peu brouillée sur la personnalité et la patte de ce peintre. Quelque chose d'inquiétant aussi, notamment dans les regards des protagonistes, qui ont parfois la fixité de mort-vivants. Cette fixité dérangeante disparait pour laisser place à des coups de pinceaux virtuoses et enlevés qui impriment un mouvement tangible au sujet. Cette alternance de mouvement, de rigidité, de sensualité et de froideur laisse un trouble. 

Quelques toiles m'ont captivée. Non pas les plus connues ou spectaculaires. Non pas le portrait de Madame X qui contient cette étrangeté un peu morbide et synthétise bien d'ailleurs l'impression que je décris plus haut. 

Ce portrait de Madame Gautreau, dont on dit qu'elle était d'une grande beauté, me laisse au contraire un léger malaise. Un profil peu flatteur, aucune douceur ou sensualité dans ce corps blafard. On y voit plus la femme fatale qui expose une chair froide et provocante mais sans langueur aucune, le regard détourné. Il y a presque un dégoût, une morgue qui émane du personnage. Morgue que l'on retrouve dans le regard et la pose d'autres protagonistes, notamment dans les portaits de la famille Pailleron. Sargent a-t-il voulu saisir la vanité un peu décadente d'une haute société qui se définit par ses moments d'apparat, ses bals, l'étalage de son aisance financière?

A contrario, les portraits d'homme sont emprunts de sensualité, on y perçoit du désir un regard presque amoureux. Il y a une tension charnelle dans les 3 études d'un jeune espagnol en début d'exposition, une séduction assez nette dans le portrait de l'homme en rouge ou encore une tendresse perceptible dans les portraits de Jacques Helleu, avec qui il aura une longue amitié.

Les femmes quant à elles sont plus distantes, étranges ou austères. Ou floues, voire parfois subtilement inquiétantes. L'histoire ne dit pas si Sargent était homosexuel. Il me semble que tous ses portaits d'homme témoignent d'un regard plus tendre et intime que celui porté sur la gente féminine.

Dans cette représentation parfois peu flatteuses des femmes, je vois des points communs avec Boldini, autre peintre de la Belle Epoque, notamment ce traitement un peu grinçant des mondaines de l'époque.

Mais avec plus de virtuosité, de maitrise d'une lumière qu'il travaille à sa manière, exagère et façonne, comme s'il appliquait ses propres filtres instagram "Spectaculaire", "Intense et froid". Il trompe la lumière, la distord pour servir son point de vue et attirer l'attention sur un point donné, à la manière d'un impressionniste. On dit d'ailleurs sa fascination pour Monet...

On pourrait interpréter son "jardin du Luxembourg" avec son soleil couchant orange qui se reflète dans le bassin comme un clin d'oeil à l'"impression Soleil levant" , 5 ans après le coup de maître de Monet. 

Le "coup de vent", quant à lui, me rappelle inévitablement "La Promenade" du même Monet, mais 10 ans plus tard.

C'est sa petite mendiante que j'ai beaucoup aimé ou cette étude de femme à l'aquarelle et la mine graphite qui me semblent  toutes deux résonner avec des Manet (le fifre, portrait de Berthe Morisot au soulier rose)  : le sujet seul dans un environnement incertain, neutre, qu'on oublie, toute concentration portée sur la vibration du personnage à la touche rapide et allusive; Dans l'obsession de saisir un geste, un regard, une attitude.

Mais le plus réussi, en tous cas celui qui m'a le plus touchée est cette scène champêtre à Capri, dans laquelle il saisit avec grâce le geste d'une jeune femme qui pose adossée à une branche. La composition, la rapidité d'exécution pour attraper l'instant et l'étrange retranscription de la lumière n'est pas sans m'évoquer une certaine Berthe Morisot et ses scènes de jardins.

Comments

  • Victoria said:

    Merci pour ton commentaire. Ca me conforte que tu sois d’accord, avec ton œil de peintre 🙂

    December 10, 2025

  • Florent said:

    Je comprends ton point de vu. Le fameux portrait de Viginie Gautreau je ne l’aime pas moi non plus. Il lui a surtout servi à faire le buzz. Les critiques de l’époque ont d’ailleurs dit que c’était une peinture d’une peinture, car le modèle était déjà trop maquillé à la base.

    December 10, 2025


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