Il est difficile de parler du couple aujourd'hui ou de porter un regard bienveillant sur des histoires d'amour. Tout exemple issu du passé est potentiellement suspect, on marche sur des oeufs...Seule la célébration commerciale semble perdurer avec son lot de petits coeurs roses et d'offres spéciales pour accompagner tout type de célébration amoureuse. 

Si l'on fait abstraction de cet opportunisme commercial, si l'on fait abstraction des débats sur le couple et les constructions sociales,  il n'en demeure pas moins que l'amour est une des grands liens de l'existence, intemporel, universel. 

Faire l'expérience de ce manque, à la fois galvanisant et douloureux, de ce sentiment qui possède  cet incroyable paradoxe d'être à la fois un moteur formidable et un créateur de  déséquilibre.  Entité étrange que celle du couple, qui évolue, se fragilise, se renforce, s'éprouve, se critique ou se protège. 

Je passe vite sur la Saint Valentin, avec son lot d'outrance commerciale, sa mièvrerie qui nous écoeure un peu, les contorsions des marques qui cherchent à capter l'opportunité tout en  intégrant tous les impératifs actuels de communication.

Moi qui vous parle sans cesse du destin  des femmes qui créent, cette date est en revanche, l'opportunité de parler de leurs grands amours. J'avais envie de vous raconter l'histoire de ces très beaux couples. En tous cas à mes yeux. Ceux qui me fascinent car je trouve qu'ils dégagent une belle force. Les hommes que mes héroïnes ont aimés. Ces histoires qui les ont portées, inspirées, nourries, renforcées. Ces hommes qui les ont regardées, aimées, soutenues, valorisées même parfois.

Vous connaissez l'adage agaçant et dépassé "Derrière chaque grand homme il y a une femme extraordinaire". J'avais envie de le renverser aujourd'hui. Derrière chacune de ces femmes, il y a aussi parfois un homme qui a compté et qui a soutenu. 

Un signe puissant de ces histoires : on n'a jamais présenté Nikki de Saint-Phalle comme la femme de Jean Tinguely ou Maria Casarès comme la maitresse d'Albert Camus, ou encore George Sand comme la maitresse d'Alfred de Musset ou de Frederic Chopin. Ou Suzanne Valadon comme la "cougar" d'André Utter.

Signe à mes yeux que cet amour a existé sans absorber leur être, comme un point d'ancrage de leur vie. Que ces hommes n'ont pas dans cet amour englouti leur personnalité ou affaibli leur art. 

Au contraire l'amour a été un lien, un moteur qui a existé à côté d'elles, ou avec ellese leur création et dont peut-être elles se sont servi comme un matériau. A aucun moment le couple ou l'existence de l'histoire d'amour n'a éteint, étouffé ou réduit au silence  la créativité de ces femmes. 

L'histoire de l'Art regorge d'exemples inverses (Picasso et Françoise Gillot, Camille Claudel et Rodin, Nadia et Fernand Léger...) où des femmes ont sacrifié leur talent dans l'ombre d'un grand créateur.

Ils sont plus rares ces exemples d'équilibre mais ils sont aussi une boussole qui fait mentir les pessimistes de l'amour. Ils défient tranquillement les codes du repli individualiste, de la méfiance réciproque.  Ils montrent toute la puissance et la douceur d'un espace qui peut exister en dehors de soi. et qui sert l'espace individuel des femmes.

George Sand écrira Elle et lui quelques années après sa liaison intense avec Alfred de Musset. Il existe une correspondance foisonnante entre Albert Camus et Maria Casarès, Niki de Saint Phalle a élaboré ses oeuvres en parallèle de jean Tinguely, voire avec son compagnon. 

Niki et Jean : une complicité plasticienne

Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely forment un couple artistique influent dans l'art du XXe siècle. Ils se rencontrent en 1954 et tombent amoureux. 

Deux univers différents : l'une invente des créatures colorées, surdimensionnées et surféminines, l'autre propose une oeuvre faite de métal, composée de machines mécaniques articulées et monochromes. Ils ont en commun la création plastique de sculpture gigantesques.

Ils se rejoignent, échangent et s'encouragent sur la recherche plastique, le modelage des formes, l'échelle et auront en commun le grand projet du jardin des tarots à Milly la Foret.

L'un de leurs projets les plus connus est la sculpture monumentale "The Cyclop" qui se trouve à Milly-la-Forêt en France. Ce projet a été conçu comme une œuvre collective, avec des contributions de plusieurs artistes célèbres. "The Cyclop" est un exemple parfait de l'esprit ludique et décalé de Tinguely et de Saint Phalle.

Maria et Albert : les mots en partage

L'envoûtante Maria Casares, grande actrice de théâtre, tragédienne, connue pour sa diction, son phrasé, la précision avec laquelle elle pose ses mots ou cherche à faire vibrer le texte dans ses yeux, cette femme magnétique croise un jour la route d'Albert Camus à paris en 1944. Ils tombent amoureux. S'aiment, se séparent et se retrouvent 10 ans plus tard, pour ne plus se quitter jusqu'à la mort tragique de l'écrivain dans un accident de voiture en 1957. 

Le jour de sa mort, il écrit cette lettre qu'il lui adresse.  " Pour moi, tu as toujours été le génie de la vie, sa gloire, son courage, sa patience et son éclat, écrivit Albert Camus à Maria Casarès. Tu riais quand je te disais que tu m’avais appris à vivre. C’était vrai, pourtant. » 

Deux tempéraments ardents, « liés l’un à l’autre par les liens de la terre, et ceux de l’intelligence du cœur et de la chair », écrivait Camus. Deux fous de théâtre aussi, « ce brasier magique », selon les mots de l’actrice, qui les réunit souvent (Maria Casarès fut Martha dans Le Malentendu et Dora dans Les Justes, deux pièces de Camus).

Elle est sa «tragique», son «émue», sa «brillante», sa «truite noire», sa «petite sainte brûlante», sa «nomade», sa «plage», son «Hespéride», sa «belle furie», sa «lumière», son «unique». Il est son «frère d’armes», son «beau prince exilé», son «seigneur», son «cher dément», son «vivant», son «renseigné», son «jeune homme mince et brun aux yeux de lumière», et, le jour de 1957 où il reçoit le prix Nobel, son «jeune triomphateur».

Maria souffrira aussi de cet amour clandestin car Albert Camus ne quittera jamais sa femme, malade et dépressive. Leur amour nourrit leur plume, en témoigne l'incroyable correspondance et les lettres qu'ils se sont écrites, sans cesse pendant toute leur longue histoire.


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